Claire Audhuy, Prendre forêt

Jusqu’à ces jours

je savais les mots

à ne pas penser

à ne pas hurler

mais il m’apparut

qu’eux aussi étaient des nôtres

qu’il fallait donc les convier

je pense et hurle désormais

de l’intérieur

la douleur

l’absence

la peur

les regrets

je les invite parmi nous

je marche avec eux

ils m’apparaissent soudain

moins effrayants

que les ombres qu’ils dessinaient

alors que je les esquivais encore

Peut-être se vêt-on de nos douleurs

pour mieux s’en défaire

il faut savoir accepter la cape du chagrin

et sa capuche

qui jette un temps

une ombre au regard

Après le chemin

le vent soufflera

il soulèvera l’obscurité de mon visage

restera alors le souvenir de cette chaleur sur ma tête

comme celui du souvenir

de l’absent

du perdu

Certains jours

j’habite une de mes blessures

m’enfonce en elle

manque de m’y noyer

je ne sais pas encore bien

refermer la porte derrière moi

je dois alors sculpter ma plaie

la respirer

apprendre à vivre avec elle

pour savoir aussi

le moment venu

la refermer

tirer le rideau

enclencher la serrure

entre elle et moi

certains jours

j’habite une de mes blessures

et parfois j’en déménage

J’escalade ma douleur

pour en faire le tour

l’apercevoir de tout là-haut

et pouvoir enfin dire

je surplombe le chagrin

je l’ai gravi.