Tahar Ben Jelloun

L’attente

J’ai mis bout à bout

Les minutes et les heures

Passées à attendre

Dans un aéroport, une garde, un terrain vague

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J’ai additionné

Les minutes et les heures

Passées à attendre

Un train, une caravane, un ange aux ailes bariolées

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J’ai mis bout à bout

Les heures d’insomnie

Le temps éparpillé dans des dîners sans nécessité

Des soirées peuplées de baleines et de dromadaires empaillés

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J’ai additionné

Les heures et les jours

Passées à attendre

La pluie et les roses

Le blé et la source

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J’ai mis bout à bout les nuits et les heures

Passées à espérer

L’être aimé

Qui ne vous aime plus

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J’ai fait un tas

Avec les quarts d’heure

De la méditerranée

J’y ai ajouté le poivre de Vienne

Et le parfum du paradis

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J’ai calculé

Les combinaisons improbables

D’un amour neuf

Dans un corps ancien

Et j’ai fermé les yeux

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J’ai jeté dans un carton

Des oies rebelles

Des mouchoirs en soie

Des livres qui sentent le temps

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J’ai mélangé les jours et les mois

Perdus dans les couloirs éblouis

Au néon de la maladie

Et j’ai assisté

Au temps qui s’égrène sans faire de bruit

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1-

Vivre : habiter la lumière de l’enfance

Résister : ne jamais s’habituer à la douleur du monde.

2-

Quand des souvenirs prennent feu

C’est la mémoire qui met de l’ordre

Dans un corps céleste

Encombré de poussière et de larmes.

3-

Si la musique est le chant de l’âme

La peinture est jubilation de l’amour

4-

Si la beauté est amère

Il ne faut pas l’injurier

Ne s’en prendre qu’à la forêt

Qui dévore l’enfance

5-

Si l’amour est triste

Il ne faut pas geindre

Mais jeter sur lui des pots de couleurs

Vives et heureuses

De l’eau de source et des épices

6-

Si l’âme creuse un mauvais sillon

Il ne faut pas hurler

Aller devant un miroir

Lire dans les yeux la trahison osée

Le champ de la dignité dévasté