Thomas Vinau

Ici ça va

C’est comme s’enfoncer dans une forêt ébouriffée. Ou marcher au bord de la rivière. On arpente sa vie. On choisit un chemin. On s’y habitue. On tente de retenir la route. L’itinéraire. C’est normal, il faut un biais pour découvrir. Un plan. Le chemin devient familier. Rassurant. On élabore nos propres repères. A partir de ce que l’on connaît. Mais on ne connaît rien. Les vrais ignorants ignorent leur ignorance. C’est un peu comme voir le paysage par une petite, petite, petite, toute petite fenêtre. Et finir par croire que ce paysage se limite à ce qu’on perçoit par cette petite, toute petite fenêtre.

Au lieu d’essayer d’élargir la fenêtre. De casser les murs.

On préfère réduire ce paysage. Penser qu’il n’est que ce que l’on voit. S’en contenter. C’est plus confortable. Et puis un jour on se rend compte que le monde est plus grand que nos yeux.

Et on reste là, perdus. Au bord du vertige.

Je me méfie. J’ai toujours peur que ça ne dure pas. Dès qu’il y a un moment de bonheur, de paix, je me répète que ça ne durera pas. Que le temps est un menteur. Qu’avoir quelque chose c’est commencer à le perdre. C’est comme cela que je fonctionne. C’est ce que la vie m’a appris. Si tôt. La perte. Le peu de fois où je l’ai oublié, le boomerang m’est revenu dans les dents. C’est ainsi que les crises ont commencé je crois. En oubliant trop tout ce qu’il y avait à perdre. En se voilant la face. En se forçant à croire. La confiance de ne se déclame pas. Il faut l’apprendre. Tout doucement. Il faut que quelqu’un d’autre vous l’apprenne. A grands coups de demains et de câlins.

… La joie est belle. La joie est simple. Avec le temps je vois ça comme une sorte de sport. De régime. Une discipline. Une acuité du cœur et de l’œil. Il y a des sources considérables à puiser là-dedans. De la force. De la beauté. De la vérité. Pourtant ça n’est pas une situation confortable. Elle demande de la vigilance. De la volonté. Pas de forcer les choses, non, mais de faire attention. Il est bien plus confortable d’être négatif. C’est naturel, et on trouve toujours de quoi faire pour se tirer vers le bas. Aujourd’hui je veux faire attention à ce que je vois. A ce que je touche. A ce que je goute. Aux variations de la lumière. Aux odeurs. Aux mots.

Bleu de travail

On tourne en rond. Il faudrait vider les greniers avec de grands balais qui remuent la poussière. Il faudrait rouler avec les vitres ouvertes dans le champ de luzerne. Cueillir les asperges sauvages. Plantez son nez là où ça sent. Boire du vin au bord de la rivière. Prendre ce qui passe. Il faudrait se salir. Tous ensemble. Sans projet. Comme avant.