Esther Granek

Et je serai face à la mer

qui viendra baigner les galets.

Caresses d’eau, de vent et d’air.

Et de lumière. D’immensité.

Et en moi sera le désert.

N’y entrera que ciel léger.

Et je serai face à la mer

qui viendra battre les rochers.

Giflant. Cinglant. Usant la pierre.

Frappant. S’infiltrant. Déchaînée.

Et en moi sera le désert.

N’y entrera ciel tourmenté.

Et je serai face à la mer,

statue de chair et cœur de bois.

Et me ferai désert en moi.

Qu’importera l’heure. Sombre ou claire…

Quand mes pensées s’arrêtent

Et figent les instants

Quand en moi se répètent

D’autres lieux d’autres temps

Quand d’un mot d’une phrase

S’estompe le décor

Et quand un ange passe

D’ennui ou de remords…

Je cours après mon ombre

Et nul ne sait

.

Quand la folle nature

Me fait de grands cadeaux

Quand d’une fleur d’un murmure

Me vient comme un écho

Quand soudain souvenances

Vont s’accrochant aux heures

Et quand réminiscences

M’emplissent de langueur

Je cours après mon ombre

Et nul ne sait

.

Quand mes pensées s’arrêtent

Et figent mes pensées

Quand en moi se projettent

Appréhensions rentrées

Quand le temps et ses traces

Me gavent de frayeurs

Et quand je les ressasse

Ricanant de mes peurs…

Je cours après mon ombre

Et nul ne sait

.

Quand les jours en dérive

Se taisent infiniment

Quand l’image s’esquive

Et se couvre d’un blanc

Quand les anges s’éloignent

Et n’en ai chaud ni froid

Et quand regrets me gagnent

D’en être sans émoi…

Je cours après mon ombre

Et nul ne sait

Et s’usera le temps

au rythme des saisons.

S’useront mes printemps.

Et moi… je reste…

Je me voudrais marée

au rythme imperturbable.

Je me voudrais jetée.

Ou je me voudrais sable.

Et s’useront mes rêves.

Et s’usera ma joie.

S’useront mes combats.

Et s’usera ma sève.

Je me voudrais étang

à surface de moire

où les aubes et les soirs

se mirent infiniment..

S’usera ma gaieté.

S’useront mes attentes.

S’useront mes projets.

S’useront mes tourmentes.

Je me voudrais le vent.

Je me voudrais la mer.

Je me voudrais le temps

au rythme de la terre.

S’useront les images

qu’on garde au fond de soi.

Et s’useront les pages

qu’on se fit pas à pas.

Alors tel un vieux loup

au bout de son chemin,

je me voudrai caillou

au rythme de plus rien !

De gaieté en gaieté

J’ai contrefait ma joie

De tristesse en tristesse

J’ai camouflé ma peine

De saison en saison

J’ai galvaudé le temps

De raison en raison

J’ai nié l’évident

De silence en silence

J’ai parlé sans rien dire

De méfiance en méfiance

J’ai douté sans finir

De rancœur en rancœur

J’ai brisé l’essentiel

De pensée en pensée

J’ai flétri sans appel

De reproche en reproche

J’ai pétrifié les jours

Et puis de proche en proche

J’ai détruit tout amour…

De pleurs en espérances

J’ai conjuré le sort

De regrets en souffrances

J’ai torturé mon corps

Las…

De nuage en nuage

J’ai construit ma maison

Et d’un seul coup d’orage…

Ils cohabitent en moi.

Se battent sans qu’on le voie :

Le passé le présent

Le futur et maintenant

L’illusion et le vrai

Le maussade et le gai

La bêtise la raison

Et les oui et les non

L’amour de ma personne

Les dégoûts qu’elle me donne

Les façades qu’on se fait

Et ce qui derrière est

Et les peurs qu’on avale

Les courages qu’on étale

Les envies de dire zut

Et les besoins de lutte

Et l’humain et la bête

Et le ventre et la tête

Les sens et la vertu

Le caché et le nu

L’aimable et le sévère

Le prude et le vulgaire

Le parleur le taiseux

Le brave et le peureux

Et le fier et le veule… Pour tout ça je suis seul.