Cécile Coulon

Je n’ai rien perdu.

J’ai eu des jours sans argent, des jours sans amour, des jours sans douceur, des jours d’une violence inimaginable, algré cela je suis certaine de n’avoir rien perdu.

Ni la sensation des douleurs profondes, ni celle des joies entières.

Je n’ai rien perdu.

J’ai eu des jours sans caresses, des jours sans paroles, des jours sans la bonne santé qui est généralement celle de la jeunesse, des jours où la paupière ne se hisse plus sur le paysage d’une chambre vide.

Mon regard était cassé.

Pourtant la fenêtre était ouverte.

Les cloches sonnaient et le noir de la vallée m’apaisait.

Je n’ai rien perdu.

J’ai eu des jours où tout est fini. Tout.

La vie n’est plus mais le cœur bat encore et c’est une surprise de l’entendre cogner quand le reste est éteint. J’ai eu des jours avec de grandes encoches dans la poitrine, des jours d’avalanche dans la gorge, où l’on blesse quelqu’un qu’on aime pour ne pas souffrir tout seul, je marchais dans la rue ramassant devant moi mes morceaux qui retombaient d’entre mes bras tordus au pas suivant.

Nous sommes si nombreux à nous taire quand de vives émotions nous déshabillent pour nous laisser là, nus et grelottant d’insécurité.

Nous sommes si nombreux à nous taire quand nous ne savons pas comment faire : personne ne nous a appris ce que cela signifie d’être ravagé par la lumière.

Je n’ai rien perdu.

J’ai eu des jours d’amour qui n’en finissaient pas de se promettre.

J’ai eu des jours de longues siestes, de longues marches, de longues étreintes.

J’ai eu des jours d’une légèreté folle, qui tenaient dans la paume d’une main d’enfant.

Je ne serais pas fâchée si tout doit finir une bonne fois pour toutes dans un an ou dans un jour car ma vie a été pleine de choses que je n’ai pas perdues.

Je veux entendre de nouveau

tes grands éclats de rire

qui m’ont tranché

la gorge.

C’est donc cela, les pleurs, les vrais. Des blessures en avalanche, les muscles, la peau, les os, le sang, qui tentent de sortir par les yeux, qui fuient ce navire à la dérive, cette épave incapable d’accueillir d’autres matelots que ceux du passé, dont le pont s’est depuis longtemps écroulé sous le poids de ce grelot, énorme à présent, monstrueux, une gigantesque boule qui grossissait encore. C’est donc cela, les pleurs : le sacre du désespoir.

Ce visage endormi que tes yeux éclaboussent

de ce bleu si profond où la nuit

je ramasse

ce qu’il faut de trajets de tes lèvres

a ma bouche

pour pouvoir le matin s’arrêter

se suspendre au bord

du temps qui passe

comme deux grands oiseaux

alourdis par la pluie

font sécher au soleil

leurs plumes d’oreiller.